Des cors au son desquels le peuple idolatre s'assembloit dans le temple de Polignac pour faire les sacrifices d'Apollon.
Chap. VII
De ces cors dont l'on a veu autrefois un grand nombre dans le chateau de Polignac il n'y en reste aujourd'huy que deux : l'un d'ivoire et l'autre de certain boeuf que je crois avoir été sauvage, car les privés et domestiques ne pouvoient avoir de si grandes ni si longues cornes, et pour dire l'usage et la façon d'appeller le peuple au son de ces cors et la mémoire qu'en reste encore aujourd'huy, pour ne rien avancer du mien, je raporteray ici de mot à mot ce qu'en dit le vieux historien du Puy (1) [Médicis] en son stile assez rude selon le tems auquel il vivoit, mais néantmoins naïf et assez intelligible :
"Les payens (dit-il) voulant faire les solemnités observées au service de l'idole d'Apollon, faisoient corner le matin sur les montagnes prochaines du chateau de Polignac comme sur en Denise, Cornilhe et Flaiat, qui leur servoit de cloches pour lors, pour signifier au peuple et villaiges le service d'Apollo ou chacun pouvoit venir et de ces cors ou cornements fut investi ledit Apollo ainsi que le traite Pline, Isidore (2), et autres cosmographes et encore sont montrés audit chateau de Polignac le chef dudit Apollo et lesdits cors, lesquels le roi François quand il fut le 18 juillet 1533 les regarda moult et monseigneur le Dauphin les corna et n'a pu etre estirpée cette manière de cornement, nonobstant ce que l'église par long tems après ordonna pour abattre cette folie de ces cors, faire procession et sur les statues de cette sottise antique rompre iceux corps, car regardez soigneusement devant les églises St Georges et St Vosy de cette ville du Puy, trouverez les pierres entaillées à l'antique ou à personages cornans qu'étoient les bastilles anciennes du Dieu Apollo et en méprisance de ce, monte un Clergeon (c'est un enfant de choeur de l'église Notre-Dame) le premier jour de may sur icelle pierre et se tourne aux quatre cartiers en disant la cornerie d'Apollo et idolatrie est cassée par tous endroits et corne quatre fois, et rompt le cor sur icelle pierre, car puis ce tems adure que on veut les cornets au Puy, ce qu'ils tiennent pour invétérée consuetude car pour le pélerinage Notre Dame, ne se pourroit ou sembleroit estre à propos, et de ce print son nom la roche de Cornille pour iceluy cornement."
Ce que cet autheur dit de ces cors des anciens payens ne doit etre estimé incroyable ni changé puisque Paolo Jovio (3) raporte que les Suisses usoient de son tems d'un semblable cor d'un certain boeuf sauvage garni et enrichi d'argent par l'emboucheure, lequel aiant été laissé de main en main par leurs ancetres, étoit [97] gardé en grand soin et religion par ceux du canton d'Ury, autheurs de la liberté de Suisse et que de ce cor les Suisses se servirent oportunément et utilement à la journée et bataille de Marignan gagnée sur eux par le grand roy François.
D'ailleurs je trouve dans les mémoires de Polignac que du tems de la guerre des Anglois l'on tenoit sur les montagnes proches des garnisons angloises des hommes gagés pour cela aiant des cors pour les sonner aussitot qu'ils verroient sortir les Anglois en troupe, et que non pas seulement les hommes mais encore le bétail s'étoit tellement accoutumé de se retirer des pasquiers au son des cors que sans autre ministère d'homme, de luy meme prenoit aussitot la course et se retiroit dans les bois ou autres lieux de seureté, de là vient aussi que nous lisons aux anciens terriers des seigneurs de cette maison et autres que leurs hommes se reconnoissoient etre de leur cor et cri, c'est à dire d'etre de la retraite de leur chateau, ou bien d'etre tenus de venir au premier ban ou mandement qui leur sera fait de leur part, ce qui se faisoit anciennement avec des cors ou cornets.
(2) Isidore de Séville, évêque de cette ville au VIe-VIIe siècle.